Notre ONG YERKIR mène des projets en Turquie depuis 2008, développant des approches innovantes, entre autres, pour aborder et réimplanter la culture et l’identité arménienne.
En déployant nos activités en Turquie et en Arménie occidentale, nous avons pu tisser des liens, et ainsi créer des réseaux avec différents cercles : intellectuel, médiatique, culturel, diplomatique… ainsi qu’avec des populations qui, par leurs histoires et leurs situations, se sentent proches des Arméniens, comme les Kurdes, les Hamchènes, les Alévis, les Dersimtsis, les Lazes, les crypto-Arméniens (Arméniens cachés, turquifiés, kurdifiés, islamisés ou alévisés).
Les questions arméniennes ne s’inscrivent pas seulement dans l’histoire et la mémoire de la Turquie, elles sont toujours d’actualité dans la transversalité de questions socio-culturels et socio-économiques. C’est en Turquie, par et avec les citoyens turcs, que des solutions peuvent émerger, d’où notre engagement à soutenir des initiatives de la société civile, mais aussi être partie-prenante pour faire entendre, en Turquie, la voix des descendants des victimes du génocide.
Suite à l’arrestation de nos principaux partenaires en Turquie (Osman Kavala de la Fondation Anadolu Kultur et des maires de Diyarbakir), aux contextes politiques et à la guerre des 44 jours de 2020, nous avons dû élaborer et adapter des projets spécifiques, aux contraintes des tensions, tout en créant de nouvelles formes d’expressions qui permettent de s’investir ici et là-bas.
En février 2020, nous avons développé un projet, Music Action Lab Women, afin de reprendre pied en Turquie, plus précisément en Anatolie. Au travers de thématiques croisées sur les Droits des Femmes, l’identité et la culture, nous avons invité à Lyon des musiciennes de France, d’Arménie et de Turquie pour une première résidence de création musicale. La musique étant une forme d’expression qui a toujours été reliée aux changements d’ordre social et politique. Des workshops, ateliers, rencontres avec des ONG et leaders de la société civile ont été organisés ainsi que des rencontres et restitutions musicales à Clermont-Ferrand et dans la Métropole de Lyon. La COVID ainsi que la guerre des 44 jours de 2020 ont stoppé net le projet. Il a fallu attendre 2023 pour reprendre le volet du projet en Arménie, en Turquie et en Anatolie.
BRUXELLES – Villa d’Empain.
Grace au partenariat d’une association Belge, La Plateforme 50 (pour les 50 ans de l’émigration turque en Belgique), nous avons pu réaliser une seconde résidence à Bruxelles. En collaboration avec la Fondation Boghossian, la Villa Empain a accueilli les musiciennes durant 10 jours, en janvier 2023 et organisée un concert.
Cette résidence a permis de structurer le projet pour organiser un cycle d’ateliers et de workshops en Arménie et en Turquie, pour travailler sur les questions des identités culturelles des Lazes (Géorgiens islamisés de la mer Noire), des Hamchènes (Arméniens islamisés au XVIIᵉ du Hemsin), des Zazas (population spécifique de la région du Dersim), des Kurdes et des Arméniens à Kharpet et Diyarbakir.
EREVAN – Point de départ
Durant 14 jours, du 17 au 30 juillet dernier, nous avons entrepris un road trip en partant d’Erevan où nous avons, durant trois jours, répété au Nexus Center fo Arts, une école de musique, et échangé avec des musiciens locaux dont Arto Tuncboyaciyan, leader du groupe Armenian Navy Band.
MER NOIRE – Pays Laze et Hamchène
Nous avons entrepris un long trajet vers la Turquie en passant par la Géorgie, avec pour première étape, Arhavi, une ville en pays Laze, située dans le nord-est de la Turquie en bord de mer Noire. Nous avons été accueillis par Birol Topaloğlu, célèbre musicien Laze, dans son centre culturel. Durant trois jours, nous avons travaillé les chants et musiques Lazes mais aussi sur ceux des Hamchènes (Hemşin en turc) avec Hikmet Açiçek, leader du groupe VOVA, pionnier du réveil culturel des Hamchènes qui travaille à préserver la culture et la langue issue du dialecte arménien Homchétsi (Հոմշեցի).
Un concert a conclu ces trois jours d’ateliers, où le répertoire de nos musiciennes a pu s’enrichir de chansons en Laze et en Hamchène. Le public local a très bien accueilli ce concert. Beaucoup de Hamchènes des villages environnants de la région de Hopa se sont déplacés, ce qui donna, après le concert, des rencontres émouvantes. Beaucoup d’entre eux parlaient ce dialecte arménien dont certains à force de contact avec l’Arménie, parlaient aussi l’Arménien Oriental, tenant même des discours très « arméno-centrés ».
DERSIM – Zaza, Alévis et Arméniens Alévisés
Nous avons quitté la mer Noire pour la région du Dersim, peuplée en majorité d’Alévis Kurdes et Zazas ainsi que beaucoup d’Arméniens Alévisés. Nous avons rejoint le célèbre chanteur Zaza, Metin Kahraman et ses musiciens, qui nous ont emmenés dans un ancien village arménien, Venk/Vank, perché sur un plateau montagneux.
Metin Kahraman a partagé avec nous des explications sur les liens culturels entre les populations arméniennes et Zazas, ainsi que sur la résistance contre l’effacement culturel, menée par les gouvernements ottoman et turc envers ces minorités. Durant cet atelier, face aux contreforts des montagnes du Dersim, nous avons pu travailler des chants locaux, Zazas et Arméniens. Nous avons rejoint ensuite la Chorale Municipale du Dersim à Tunceli pour une séance musicale où nous avons chanté ensemble le répertoire appris avec Metin Kahraman.
KHARPET
En partant du Dersim pour rejoindre Diyarbakir, nous nous sommes arrêtés à Kharpet, pour une journée d’étude avec Mustafa Balaban, historien crypto-arménien spécialiste de la région de Kharpet/Elazig.
Après une visite d’une maison ethnographique arménienne typique de Kharpet, Mustafa Balaban nous a conduits dans les différents quartiers de Kharpet, autour de la forteresse médiévale, nous expliquant l’historique et les changements opérés depuis 1915.
Suite à cette visite, Mustafa Balaban a rédigé un article dans le journal local d’Elazig (ville dont Kharpet est un des quartiers) à destination du grand public et des cercles politiques et culturels d’Elazig, extraits :
« Discuter avec les membres du groupe de musique MiASiN, qui ont visité Kharpet cette semaine, m’a laissé de profondes impressions…
…La musique a une caractéristique irremplaçable dans l’interaction interculturelle. Dans ce contexte, nous devons repenser les contributions et les effets de la musique Kharpet sur le patrimoine culturel mondial. Dans ce contexte, nous devrions organiser les événements musicaux organisés par la municipalité pendant les mois d’été et inviter des groupes de musique internationaux…
…Dans de telles organisations, les musiciens et ensembles qui contribuent à cette culture doivent être accueillis dans le respect du passé historique de Kharpet. Je crois qu’inviter des artistes arméniens au festival et organiser des événements communs, en particulier compte tenu de leurs contributions à la musique de Kharpet, apportera une grande contribution à notre ville et à notre culture musicale…
…Si nous ne respectons pas et ne protégeons pas ce patrimoine, nous ne pouvons résister à la dégénérescence imposée par la culture populaire… »
DIYARBAKIR – Tigranakert / Տիգրանակերտ – Renaissance d’une communauté arménienne.
À Diyarbakir, nous avons travaillé durant quatre jours en partenariat avec le conservatoire kurde Ma Music ou quatre de leurs musiciennes et chanteuses ont intégré notre formation initiale.
Des rencontres avec la nouvelle communauté arménienne de Diyarbakir composée de crypto-Arméniens ont été organisées ainsi qu’un concert acoustique à l’église apostolique arménienne Sourp Guiragos/Սուրբ Գիրագոս. Un moment hors du temps où la culture et la langue arménienne ont pu résonner de nouveau dans ce lieu magique empreint de spiritualité, où la magie de l’architecture arménienne sublimait la musique.
Un autre concert a été donné à Diyarbakir, le samedi 29 juillet à Zarok Ma, espace du conservatoire Ma Music, en partenariat avec les structures culturelles kurdes Mordem et AmidArt. Ce concert a réuni plus de 300 personnes, enthousiasmées par les reprises de chansons en arménien avec leur pendant en kurde tel que « Al Ayloughs/Ալ այլուղս – Desmala Min » ou « Hay Merig/Հայ մերիկ ».
Durant tout ce séjour, une journaliste française, Astrig Agopian, nous a accompagné dans le but de réaliser deux documentaires : un sur ce roadtrip musical à la découverte des identités culturelles d’Anatolie qui sortira courant 2024 et un autre plus spécifique sur les crypto-Arméniens et leur réveil identitaire prévu pour 2025.
TÉBI YERKIR – Vers le pays.
En sillonnant la Turquie, nous nous sommes servis de la musique comme d’un médium de dialogue artistique pour explorer et s’inspirer de ces cultures d’Anatolie, de ces peuples qui luttent pour exister et faire vivre leur identité, leur culture, leur langue et leur musique.
L’objectif étant aussi de tisser des liens avec les néo-communautés arméniennes Hamchènes, du Dersim, de Kharpet et de Diyarbakir. Descendants de victimes du génocide, ils ont été alévisés, kurdifiés, turquifiés ou islamisés, dont certains reviennent à leur identité arménienne et se structurent par le biais d’associations. En quête de leur arménité, nous souhaitions construire des ponts avec eux pour les aider dans cette démarche. Ils sont une chance pour faire revivre l’identité, la culture, la langue sur la terre originelle du Yerkir, l’Arménie Occidentale.
MiASiN ! Folk-Fusion d’Anatolie
De ce périple est né le groupe MiASiN ! (Միասին, Ensemble en arménien). Au croisement d’un duduk arménien, d’un violon électrique, d’un saz, ou de synthétiseurs, cet univers artistique éclectique mixe des saveurs traditionnelles en fusion, jazz, électro….
Dans cet ensemble inédit, ces cinq musiciennes françaises, arméniennes et turques chantent avec passion et énergie des thèmes personnels et sociaux dans leurs langues maternelles.
Ce projet a été porté par un partenariat unique en son genre entre des structures de Belgique, de France et de Turquie comme la Plateforme 50 (50 ans de l’émigration turque en Belgique), la Fondation Boghossian – Villa d’Empain (Bruxelles/Belgique), l’ONG YERKIR (Lyon) ainsi que des structures culturelles françaises ; Marsatac à Marseille, CCO-La Rayonne – Tiers lieu culturel sur la Métropole de Lyon ainsi que CaféTurc – Music & Arts (Bursa/Turquie).
Ce projet a été soutenu et financé grâce à : L’Institut Français, la ville de Lyon, la Métropole de Lyon, la ville de Marseille, l’Institut Français de Turquie, la région Bruxelles-Capitale.