Dans cette interview, Ali Bayramoğlu explique ce que signifie la notion d’identité nationale selon le président Recep Tayyip Erdoğan et le parti AKP ainsi que la stratégie de ce dernier pour la transformer. Selon le politologue l’AKP tente de bâtir un nouvel ordre politique et civilisationnel ayant notamment pour références l’histoire ottomane, le nationalisme turc et l’identité islamique.
Si l’Empire ottoman, pour inégalitaire qu’il fût, se considérait comme un État multi-ethnique et pluriconfessionnel, la République de Turquie a d’emblée cherché à imposer une identité unique, à la croisée de la langue, de la religion et de la culture. Un certain nombre de groupes, à commencer par les Kurdes, ont été assimilés à l’identité nationale turque. Les minorités non-musulmanes chrétiennes et juives, à l’inverse, ont été rejetées symboliquement hors du cadre de l’appartenance nationale. Avec Arus Yumul, sociologue à l’université Bilgi d’Istanbul, nous sommes revenus sur le débat opposant “être turc” (Türk) et “être de Turquie” (Türkiyeli). Parler de citoyens turcs revient souvent à défendre l’assimilation des minorités au nom d’une identité exclusive, comme le résume la devise nationaliste “quel bonheur de pouvoir se dire turc !”. À l’inverse, parler de citoyens de Turquie, c’est chercher à découpler l’appartenance citoyenne et la culture majoritaire, en faveur d’une conception plurielle et multiculturelle de l’identité.
Si la situation des Hémichis, Arméniens musulmans de la région de la Mer Noire est de mieux en mieux connue, la question des Grecs de Turquie reste en revanche largement taboue ou méconnue. Appelés Roums en Turquie, Micrasiates en Grèce, ces héritiers de l’Empire byzantin ont été expulsés en 1923 à la suite d’une vaste opération d’échange de population avec la Grèce qui est venue clore la guerre opposant les deux pays. Cette immense épuration ethnique basée sur l’appartenance religieuse et réalisée avec l’aval de la Société des Nations a seulement épargné les Grecs orthodoxes d’Istanbul et des îles de Gökçeada et Bozcaada qui ont été autorisés à rester sur le sol de la jeune République turque.