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Dans cet article, Seyhan Bayraktar, qui a mené des recherches sur la rhétorique développée en Turquie autour du Génocide arménien, explique qu’une augmentation quantitative de discours n’indique pas nécessairement un changement paradigmatique vers une parole autocritique. Partant des années 70, elle décrit les diverses mutations du négationnisme de l’État turc à travers les décennies. D’un négationnisme de réaction, on passe progressivement à un autre, plus proactif. Selon l’auteure, on assiste à une institutionnalisation et à une professionnalisation du négationnisme. Aussi, les années 2000 se révèlent être une période de transition pendant laquelle la « question arménienne » s’inscrit progressivement dans le débat politique turc puis entre progressivement dans la communication politique quotidienne de la Turquie avec le 90ème anniversaire du Génocide. Une période délicate pour la Turquie, en pleines négociations d’entrée dans l’Union Européenne…
Si l’Empire ottoman, pour inégalitaire qu’il fût, se considérait comme un État multi-ethnique et pluriconfessionnel, la République de Turquie a d’emblée cherché à imposer une identité unique, à la croisée de la langue, de la religion et de la culture. Un certain nombre de groupes, à commencer par les Kurdes, ont été assimilés à l’identité nationale turque. Les minorités non-musulmanes chrétiennes et juives, à l’inverse, ont été rejetées symboliquement hors du cadre de l’appartenance nationale. Avec Arus Yumul, sociologue à l’université Bilgi d’Istanbul, nous sommes revenus sur le débat opposant “être turc” (Türk) et “être de Turquie” (Türkiyeli). Parler de citoyens turcs revient souvent à défendre l’assimilation des minorités au nom d’une identité exclusive, comme le résume la devise nationaliste “quel bonheur de pouvoir se dire turc !”. À l’inverse, parler de citoyens de Turquie, c’est chercher à découpler l’appartenance citoyenne et la culture majoritaire, en faveur d’une conception plurielle et multiculturelle de l’identité.
Si la situation des Hémichis, Arméniens musulmans de la région de la Mer Noire est de mieux en mieux connue, la question des Grecs de Turquie reste en revanche largement taboue ou méconnue. Appelés Roums en Turquie, Micrasiates en Grèce, ces héritiers de l’Empire byzantin ont été expulsés en 1923 à la suite d’une vaste opération d’échange de population avec la Grèce qui est venue clore la guerre opposant les deux pays. Cette immense épuration ethnique basée sur l’appartenance religieuse et réalisée avec l’aval de la Société des Nations a seulement épargné les Grecs orthodoxes d’Istanbul et des îles de Gökçeada et Bozcaada qui ont été autorisés à rester sur le sol de la jeune République turque.
Dans cet article, Bilgin Ayata soutient que les problématiques telles que le Génocide arménien et la violence contre les Kurdes et les Alévis doivent être vues de manière rapprochée et non séparée. À l’inverse de nombreux observateurs qui traitent le génocide arménien comme un problème du passé et le conflit kurde comme un problème du présent ― opérant de fait une « compartimentation » et une « dissociation » des crimes d’État » ― elle estime « incompréhensible que les questions kurdes et arméniennes soient traitées séparément l’une de l’autre ». Elle propose ainsi une autre vision sur la violence d’État contre les Arméniens, les Kurdes, les Alévis et d’autres groupes persécutés en Turquie. Enfin, elle explique pourquoi la formulation et le contenu des actions de la société civile menées par des activistes Kurdes concernant le génocide arménien sont si radicalement différents de ceux de leurs homologues turcs bien plus reconnus.