Historien turc
Interview avec Taner Akçam sur les politiques d’Ankara à l’approche d’avril 2015 ; comment la reconnaissance du génocide est comprise en Turquie ; et les modèles à suivre quant à la résolution du conflit qui gangrène les relations entre la Turquie, l’Arménie et la diaspora arménienne. Selon Taner Akçam, les questions de justice et de réparations sont volontairement évitées en Turquie.
REPAIR : Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur le génocide arménien ?
Taner Akçam : J’ai commencé à travailler sur le génocide arménien totalement par hasard. Si je me souviens bien, Engels affirme dans son livre Anti-Dühring que « Les coïncidences sont le fruit des obligations ». Mon histoire est ainsi faite. J’avais commencé à travailler sur l’histoire de la torture dans la société ottomane à l’Université de Hambourg. Là-bas, j’ai commencé à lire et à apprendre des choses que je ne connaissais pas du tout sur l’histoire turque et ottomane. L’une d’entre elles concernait les massacres des Arméniens à l’époque d’Abdülhamid. Je me souviens avoir lu plus tard des sources en allemand sur 1915 et m’être dit : « Je ne les connais pas du tout, il faut que j’en sache plus ».
Ensuite, il y a eu un autre hasard. C’étaient les années 1990-1991, l’Institut où je travaillais avait lancé un projet sur les procès de Nuremberg. L’Institut cherchait la réponse d’une question simple : « Les procès de Nuremberg sont-ils une déviation dans l’histoire de l’humanité ou peuvent-ils devenir une norme à l’avenir ? Les agents de l’Etat peuvent-ils être tenus individuellement responsables des crimes qu’ils ont commis pour des raisons politiques ? » On voulait ainsi savoir si une institution comme la Cour pénale internationale pouvait être constituée. Cette question peut paraitre étrange aujourd’hui, mais à l’époque où elle avait été posée, la guerre n’avait pas éclaté en Ex-Yougoslavie et il n’existait aucun débat à propos des Cours pénales internationales. Mon projet sur la torture dans l’histoire turco-ottomane était en train de se terminer. J’avais appris lors de mes lectures qu’entre 1919 et 1922, des membres du Comité Union et Progrès avaient été jugés à Istanbul et que la tenue de ces procès avait un lien avec les négociations de paix de Paris. Un des débats lors des négociations de paix concernait la création d’une cour pénale internationale. Se basant sur ces données, j’ai présenté à l’Institut un projet sur les procès d’Istanbul et les négociations de paix de Paris. Mon projet a été accepté et j’ai commencé à m’intéresser à la question du génocide.
Je voudrais parler d’une autre coïncidence. Il y avait une employée à la bibliothèque de l’Institut. Sa mère était arménienne, mais il ne lui restait que ses yeux noirs pour témoigner de son arménité. Elle m’encourageait beaucoup à travailler sur le sujet, « C’est un sujet très important et il est d’autant plus important que tu fasses ce travail en tant que Turc » disait-elle. A cette époque, je regardais le monde à travers les yeux d’un intellectuel turc moyen de gauche. Je ne faisais que répéter des choses connues comme « C’est une période sombre, il y a eu des affrontements des deux côtés ». L’insistance de cette employée a rejoint le lancement du nouveau projet de l’Institut. J’ai finalement commencé à travailler sur le sujet à l’issue d’un intérêt académique.
Une fois que vous avez commencé, vous vous êtes retrouvés absorbé par ce sujet ?
Je me suis trouvé à fond dedans oui. A vrai dire, je ne savais pas et je n’imaginais pas que c’était un sujet si risqué et politiquement tendu. Je suis une personne qui a pu attraper le dernier wagon de la génération de 68. A ce sujet, je pensais comme un turc de gauche moyen. J’avais une vision du monde proche de « Nous, les Turcs, nous avons mené contre le monde entier une guerre anti-impérialiste. Nous avons construit notre Etat à partir du néant. Les Arméniens, les Grecs étaient les prolongements de l’impérialisme au sein de nous, ces forces qui représentent la grande bourgeoisie et qui servaient en fait l’impérialisme ». Quant à 1915, ma vision était façonnée par la mentalité suivante : « Il y a eu certains événements confus lors de la Première Guerre mondiale, les gens se sont entretués. Mais nous les Turcs, nous avons au moins mené une lutte pour créer notre Etat national et nous avons donc raison. Les autres étaient les « collabos » des impérialistes. Tout cela est resté dans le passé. Il n’est pas nécessaire de fouiller cette époque sombre ». Pour cette raison, étudier le génocide arménien concernait pour moi un changement de mentalité, mais je n’étais pas très conscient des risques politiques du sujet.
Je peux aujourd’hui facilement le dire : si je n’avais pas un passé politique de gauche, j’aurais pu abandonner l’étude du génocide arménien. Dans les années 68, 69 et 70, trois conditions étaient nécessaires pour être de gauche en Turquie. Primo, vous deviez être prêt à être arrêté et torturé. Secundo, vous pouviez rester pendant de longues années en prison. Tertio, vous risquiez d’être tué en pleine rue. Vous ne pouviez pas vous engager dans des mouvements de gauche sans répondre que vous étiez prêt à tout cela. Ayant dit « oui » à l’époque au « triangle torture, prison et assassinat », j’ai pu assumer les risques de travailler sur la question arménienne. Si je n’avais pas un tel passé, j’aurai pu abandonner. J’ai eu des amis universitaires qui l’ont fait.
Après avoir commencé à travailler sur le sujet, les attaques de l’Etat et des milieux nationalistes et racistes m’ont sans doute effrayé, mais elles m’ont aussi mis en colère. Il y a eu des moments où j’ai pensé « Travailler sur ce sujet fait donc partie d’une lutte politique et vous voulez me détruire. Ma décision sur ce type de risques était déjà prise dès les années 70. Si vous voulez vous en prendre à moi, allez-y ». Mais il y a eu aussi des moments où j’ai été très effrayé à cause des menaces de mort avant et après l’assassinat de Hrant Dink. Notamment depuis l’assassinat de Hrant, je suis entre ces deux extrêmes. D’une part une peur extrême, d’autre part une grande colère contre l’assassinat de Hrant Dink et l’injustice. J’essaye de faire avec ces deux états d’âme.
Travailler sur le génocide arménien était-il pour vous une manière de poursuivre votre combat politique ? En tant que sujet d’importance critique pour la démocratisation de la Turquie ?
Je peux certainement dire que je le voyais de cette façon au début. J’avais rédigé une longue préface pour la publication de mon premier livre en 1992. Elle était axée sur pourquoi on devrait traiter le sujet, plus que ce qui s’était passé dans l’histoire. En résumé, j’affirmais que la question kurde était une suite de la question arménienne et qu’on ne pourrait la résoudre sans comprendre la question arménienne. Si vous souhaitez établir une société respectueuse des Droits de l’homme, vous devez regarder les violations des Droits de l’homme dans le passé. On peut dire que je considérais la question arménienne comme un sous-ensemble des questions politiques d’aujourd’hui. Ce n’est pas une vision totalement fausse, mais il faut admettre qu’elle a de sérieuses lacunes.
Je regarde, bien sûr, de manière différente aujourd’hui. En tant que chercheur, le fait qu’une question soit politiquement résolue, ou pas, m’importe peu. Il n’y a pas de lien entre travailler sur un sujet et le fait qu’un sujet soit considéré comme un « problème ». Par exemple, l’Holocauste est en grande partie politiquement résolu entre Israël et l’Allemagne. Mais les travaux et recherches universitaires continuent. Je vais donc travailler sur ce sujet aussi longtemps que je pourrai encore écrire. Mais d’autre part, il faut aussi aborder le sujet avec la responsabilité d’un intellectuel en Turquie. Cela implique de donner un soutien aux recherches de justice des communautés, en premier lieu des Arméniens, qui ont subi une injustice dans le passé.
La reconnaissance du génocide peut être définie par différents groupes de plusieurs manières en Turquie. Certains la définissent comme la prise de conscience de la société à propos de 1915 alors que d’autres demandent une reconnaissance étatique. Comment définiriez vous la reconnaissance ?
Je ne peux pas dire que je comprends bien pourquoi on oppose la reconnaissance par la société à celle par l’Etat. Je trouve absurde le fait de dire qu’il faut que la société reconnaisse, mais que la reconnaissance étatique n’est pas nécessaire. La justice ne peut être établie qu’avec la seule reconnaissance d’une injustice par la société. On parle aujourd’hui de l’extermination des Indiens d’Amérique, le sujet est débattu et il y a une acceptation de la part de la société. Mais cela ne signifie rien pour la réparation des injustices commises envers les Indiens. Il faut poser la question de manière juste : qu’est-ce que la réparation d’une injustice historique veut dire ? Primo, elle signifie la reconnaissance de l’injustice par l’Etat et/ou par des institutions et la mise en place des mesures pour réparer les conséquences de l’injustice. Il faut des indemnités, non pas seulement limitées à l’argent, mais avec des dimensions morales. Secundo, il faut que la société reconnaisse cette injustice. La reconnaissance par la société n’implique pas uniquement la réparation. La reconnaissance par la société signifie que ses membres peuvent vivre ensemble dans des conditions démocratiques. Cela implique la résolution des problèmes des Arméniens et d’autres minorités qui vivent aujourd’hui en Turquie.
L’importance de la reconnaissance par l’Etat implique la mise en place des réparations comme les indemnités et d’autres mesures similaires. Quant à la reconnaissance de cette injustice par la société, elle lui permet de vivre dans un environnement plus paisible et démocratique. La reconnaissance par la société, signifie par exemple, au minimum, que les Arméniens ne ressentent aucune inquiétude dans la rue, qu’ils puissent à haute voix prononcer leurs noms et parler en arménien. Je ne parle même pas de l’abolition des autres obstacles juridiques dont ils souffrent…
Quels sont les changements que vous attendez dans la période à venir ?
J’aimerais parler de deux modèles de changement possibles. Le premier concerne le traitement de l’histoire à l’américaine. J’ai l’impression que la Turquie devient une petite Amérique. Il me semble que nous imitons la manière qu’ont les Américains de faire face au passé des Etats-Unis. C’est à dire l’approche qui consiste à laisser la solution du problème à la société civile. Aujourd’hui, vous pouvez parler librement des injustices commises envers les Indiens d’Amérique, il existe des cursus universitaires sur la langue et la culture des populations autochtones. Vous pouvez faire des recherches, discuter et parler de tous les sujets, y compris le génocide. Il existe des initiatives et des programmes spéciaux pour protéger les langues et les cultures des Indiens. Un musée sur les Indiens existe à Washington. Dans ce musée, vous ne pouvez rien voir sur le génocide, mais vous pouvez trouver plusieurs informations sur la contribution des Indiens à la civilisation américaine. Je crois que la Turquie est en train de prendre une voie similaire. La question arménienne est de plus en plus acceptée au niveau de la société civile.
Pour cette raison, je ne serai pas du tout étonné de voir en Turquie l’ouverture de cursus sur l’histoire et la culture arménienne dans les temps à venir. Le génocide sera de plus en plus débattu dans la société. Il y aura, bien sûr, des gens qui nous diront « Que voulez-vous de plus ? » et qui trouveront que c’est bien suffisant. Il y a de nombreuses personnes qui lancent aujourd’hui « On en parle, cela ne vous suffit-il pas ? ». Certains disent même « On en a suffisamment parlé, soyons quittes et tournons cette page ». Les gens qui ont cette mentalité ne demandent bien sûr pas la reconnaissance du génocide par l’Etat. Dans ces milieux, il y a même ceux qui affirment sérieusement : « La question du génocide n’est pas l’affaire de l’Arménie, en quoi cela la regarde ? ». D’autres considèrent la lutte de la reconnaissance du génocide menée par la diaspora comme quelque chose pour « nous gonfler sans cesse avec cette question ». Selon ces milieux, le génocide est une question entre les Arméniens de Turquie et l’Etat turc. Et c’est une question à résoudre au sein de la société. Je pense que cette approche que j’appelle « américaine » va se répandre en vitesse en 2015 et dans les années qui suivent.
Un autre modèle que la Turquie pourrait suivre est l’exemple de l’Allemagne et d’Israël. Je pense que c’est un modèle juste. Je ne crois pas que la Turquie puisse résoudre le problème de faire face à son histoire à la manière américaine. Pour deux raisons : il existe un pays qui s’appelle l’Arménie et une réalité qui s’appelle la diaspora. Or les Indiens d’Amérique n’ont ni d’Etat indépendant, ni de diaspora. A cause de ces deux réalités, les tentatives de résolution du conflit à l’américaine sont vouées à l’échec. Je pense aussi que cette approche à l’américaine est une continuation un peu différente de la politique d’amnésie qui dure depuis 90 ans. Comme si ceux qui voient que les politiques de négation ne suffisent plus creusent de nouvelles tranchées où ils pourront continuer la guerre.
Si la Turquie (avec son Etat et sa société) souhaite réellement la résolution de ce problème, elle doit immédiatement commencer les discussions à propos de ce sujet avec l’Arménie. A l’image de ce que l’Allemagne et Israël ont fait. Elle devrait aussi, comme l’Allemagne a fait avec la diaspora juive, lancer des discussions avec la diaspora arménienne. L’Arménie ne peut pas représenter la diaspora et vice et versa. Ce sont deux entités indépendantes. Il existe bien sûr la question de la représentation de la diaspora, mais je pense que c’est une question qui pourrait rapidement se résoudre. Les Juifs aussi ont de nombreuses organisations différentes, mais ils ont réussi à établir en peu de temps une structure pour mener des négociations. En résumé, je pense que la Turquie devrait suivre l’exemple de l’Allemagne et d’Israël dans la résolution du conflit.
La Turquie n’a pas présenté une demande de pardon, mais un texte de condoléances a été publié l’année dernière. La Turquie pourrait-elle avancer sur cette voie ?
Il est difficile de prévoir ce qui pourrait se passer. Mais on a l’impression que la Turquie poursuit une double stratégie. La première est d’accroître la tension à court terme et cherche à sortir indemne de 2015. La deuxième est de donner l’impression à l’opinion publique internationale qu’elle est la partie qui souhaite résoudre le problème. Elle voudra montrer la diaspora et l’Arménie comme les parties qui fuient une solution et la réconciliation.
Je vais donner quelques exemples de la stratégie de hausse de tension. Regardez le nouveau site web ouvert par l’Institut turc de l’histoire sur la question arménienne. Vous verrez que les politiques de négation qui durent depuis 90 ans continuent de manière déchainée. Tous les articles, livres et documents d’archives écrits depuis 90 ans conformément à la politique officielle y sont réunis. Comme s’ils étaient les préparatifs pour une guerre finale. Le deuxième exemple concerne les livres scolaires. Regardez ces livres, il y existe un négationnisme encore plus extrême par rapport à ce que nous avons vu dans le passé. Au delà d’un racisme ouvert, les Arméniens sont montrés comme la plus grande menace contre la sécurité nationale de la Turquie. Le troisième exemple est l’autorisation donnée — au mépris du droit international — aux représentations officielles de l’Azerbaïdjan de mener des actions politiques en Turquie. Le concours d’affiches organisé par l’Université de Gazi avec l’Ambassade de l’Azerbaïdjan sur les massacres commis par les Arméniens lors de la Première Guerre mondiale en est un exemple. Ils avaient en plus affirmé qu’ils allaient déclarer le gagnant le jour de l’anniversaire de l’assassinat de Hrant Dink. Une ambassade ne peut mener des actions politiques dans le pays où il se trouve, selon le droit international. Le quatrième exemple est la commémoration des guerres de Sarıkamis et des Dardanelles. On va traiter à cette occasion le thème « Nous aussi, nous avons souffert ». Ces exemples me montrent que le gouvernement turc est en train de nous dire : « Si vous nous imposez le génocide, nous allons vous imposer ces sujets-là ».
La deuxième stratégie concerne le monde occidental. « Nous agissons avec compréhension. Regardez, nous avons présenté nos condoléances », diront-ils. On va développer l’approche de « comprendre les douleurs de chacun » autour de l’idée de « mémoire juste ». En fait, même si en terme de contenu, ils répètent ce qui a été déjà dit a propos de 1915, une différence est à souligner. Un langage et un habillage plus humain sont cousus sur les politiques de négation. Il peut bien sûr y avoir certaines personnes qui souhaiteront le voir comme une avancée.
En résumé, je peux dire que la principale politique du gouvernement est de laisser passer 2015 avec un minimum de dégâts. Je ne crois pas que les élites dirigeantes approchent le sujet avec le souci de résoudre sérieusement la question arménienne en Turquie.
Comment se fait-il que certains chroniqueurs en Turquie définissent cette approche comme une « révolution » ?
Si on interprète tout cela avec de la bonne foi, il faut montrer de la compréhension envers le fait que des ouvertures minimes de ce genre puissent être vues comme des grands changements. Je dirai qu’il faut montrer de la tolérance envers cette joie. Lorsque vous critiquez ces changements, la réponse qu’on vous fera sera la suivante : « Avant, il n’y avait même pas cela ». Tout en comprenant cette approche, je la trouve très problématique. Car en somme, « vous cherchez alors du mérite dans le mauvais ». Vous défendez alors le fait de se contenter avec la pire alternative, au lieu d’atteindre ce qui est juste et ce qui devrait être fait.
Il y a un autre aspect négatif de voir ces petits changements comme des grandes révolutions. L’argument « Avant, il n’y avait même pas cela » est utilisé contre vous, pour que vous vous contentiez de ce qu’on vous donne. On peut vous dire « Qu’est-ce que tu veux de plus, c’est suffisant ». On peut même affirmer, sans avoir honte, « Nous avons fait notre devoir. La balle est maintenant dans l’autre camp ». Reconnaitre une vérité historique peut être présenté comme une question de négociation. C’est comme si, au lieu de débattre sur les solutions raisonnables en se mettant d’accord sur des principes, on vous dit « En Turquie, même si c’est seulement un pas minime, tu dois apprendre a être reconnaissant ». Le climat général est de montrer les avancées comme une grande grâce accordée. Je préfère qu’on fasse des phrases nettes sur la nature et la solution du conflit. Cette approche consiste à reconnaitre la vérité historique, à la définir comme un meurtre, à demander pardon et à effectuer des réparations.
Les questions de justice et de réparations ne sont absolument pas évoquées en Turquie. Indemnités, remise des propriétés confisquées, nomination et condamnation ouvertement les responsables : ces pas paraissent-ils utopiques pour la Turquie ?
Aujourd’hui, oui. En Turquie, y compris dans les milieux libéraux, à la fois au niveau étatique et sociétal, on fuit de manière volontaire et consciencieuse, les questions de reconnaissance et d’indemnités. Car on sait que l’issue passera forcément par « donner ». C’est une situation à laquelle les milieux de gauche et les libéraux ne sont pas du tout habitués. Les gens de gauche, les démocrates et les libéraux ont toujours été des demandeurs. Ils sont habitués à cette posture. Ils ont demandé de la liberté et de la justice sociale à l’Etat. Pourquoi nous situons-nous à gauche par rapport à l’Etat ? Nous demandons des droits, de l’égalité et si on ne nous les donne pas, on saura les prendre. On luttera pour les prendre, s’il le faut. Concernant la question arménienne, on sent que la situation est différente. C’est là que, à la fois les gens de gauche et les libéraux, ont du mal : nous sommes obligés de donner. Point final. Nous devons apprendre à formuler cette question de « donner » comme un gain. Nous devons voir et comprendre qu’en donnant, il y a l’humanité à sauver et à gagner.
Et ce ne sera pas seulement l’Etat qui devra donner, n’est-ce pas ?
Bien sûr, par exemple l’Etat donnera des indemnités, mais cette somme sera réglée grâce aux impôts payés par des citoyens. Considérant cette question de « donner » comme une « perte », à la fois les gens de gauche et les autorités agissent selon leur subconscient qui demande « Comment peut-on en sortir en donnant le moins possible ? ». C’est pour cette raison que nous sommes dans une situation qui affecte profondément notre existence. Personne ne souhaite donner. Pour cette raison, chacun cherche à se débarrasser de cette affaire en donnant le moins possible. C’est pour cela que ce sujet dérange autant. Si nous pouvons réaliser que donner est un grand gain en soi et que si on peut définir ce gain à la fois de façon matérielle et morale, nous pourrons faire un pas de plus dans la résolution du conflit.